Malgré les incertitudes dues au paysage économique et géopolitique, 2022 a été une année exceptionnelle en matière d’innovation dans le domaine de l’électronique, et je suis sûr qu’en 2023 le secteur de la conception de circuits intégrés (IC) et de systèmes électroniques continuera d’innover. Voici quelques mégatendances de ce secteur qui, selon moi, méritent d’être surveillées au cours de l’année à venir.
Il y a dix ans, les entreprises de conception de systèmes comptaient pour environ 1 % de la capacité des fonderies de circuits intégrés. Aujourd’hui, elles en représentent plus de 20 %. Un plus grand nombre de ces entreprises, et dans des secteurs plus variés, développent leurs propres IC. Pourquoi ?
Deux grandes tendances poussent les entreprises de conception de systèmes à concevoir leurs propres IC. Il y a d’abord une considération économique. Comme les semi-conducteurs représentent un pourcentage plus important de la valeur d’un système, les entreprises de conception de systèmes ont naturellement envie de capter davantage de cette valeur en concevant leurs propres IC.
Ensuite, et c’est peut-être encore plus important, la part d’innovation introduite dans un IC conçu en interne est susceptible d’accroître la valeur d’un système complet et de le différencier de ses concurrents. Aujourd’hui, tous les systèmes électroniques avancés sont « intelligents ». Mais la façon dont vous exploitez cette intelligence intégrée et dont vous optimisez les performances de vos dispositifs pour créer cette intelligence constitue un facteur-clé pour différencier un produit et améliorer sa rentabilité. Apple est un excellent exemple d’internalisation de la conception d’IC pour accroître la valeur des systèmes. Il y a des années, la société a décidé avant tout le monde d’adopter l’architecture 64 bits. Elle ne l’a pas fait pour l’augmentation de l’espace d’adressage qu’elle permet, mais pour disposer d’un accès à la mémoire plus efficient et moins gourmand en énergie. En d’autres termes, cela lui a permis de proposer des appareils mobiles fonctionnant plus rapidement et plus longtemps que la concurrence. Ses concurrents lui ont ensuite emboîté le pas.
De nombreuses entreprises se tournent vers l’IA et l’apprentissage automatique (Machine Learning) à tous les stades de la conception de leurs systèmes afin de les différencier davantage des systèmes concurrents et, en fin de compte, de les rendre plus intelligents que ces derniers. Alors que l’IA est de plus en plus souvent intégrée dans les appareils Edge (edge-based devices), nous constatons que les entreprises leaders dans ce domaine parviennent à se différencier davantage en construisant leurs propres accélérateurs d’IA optimisés au lieu d’utiliser des accélérateurs standard. Cela leur permet d’optimiser leurs systèmes afin d’obtenir globalement de meilleures fonctionnalités, une meilleure consommation et de meilleures performances.
Ces systèmes électroniques plus intelligents (que j’ai mentionnés plus haut) sont de plus en plus souvent développés dans le contexte du monde réel. Qu’ils soient destinés à être utilisés dans un système de conduite autonome, un réseau 5G ou une initiative de type « chipto- city » (de la puce à la ville), le fait de savoir à l’avance comment ces systèmes se comporteront (par rapport aux attentes) en présence d’entrées et de sorties réelles permet de mieux les différencier. Par exemple, dans le domaine de la conduite autonome, deux obstacles principaux gênent l’industrie des IC dans ses efforts pour rendre possible une conduite totalement autonome : la consommation d’énergie et la détermination du volume de traitement nécessaire lorsque le système se déplace dans un environnement réel complexe. Ces défis renforcent le besoin de jumeaux numériques complets capables de modéliser le fonctionnement de systèmes électromécaniques complexes dans ce type d’environnement. Dans le cas d’un véhicule totalement autonome, ce système électromécanique complexe commandé par logiciel devra fonctionner dans un réseau plus vaste composé d’autres systèmes, c’est-à-dire dans un écosystème complexe. Il doit donc être testé de manière exhaustive dans le monde virtuel avant d’être testé dans le monde réel et déployé commercialement. Attendezvous à ce que ce domaine fasse l’objet de plus d’attention et que des progrès y soient réalisés au cours de l’année à venir.
Concevoir des circuits intégrés 3D est intéressant à bien des égards. Au niveau du IC, elle peut permettre aux concepteurs de développer des puces plus petites et par conséquent de produire, par tranche, davantage de puces sans défaut aléatoires. Au niveau du système, l’IC 3D permet aux entreprises d’atteindre de nouveaux niveaux de miniaturisation et de réduire les coûts de fabrication. Mais, plus important encore, les IC 3D permettent aux équipes de conception de placer ou d’empiler différents types d’IC, SoC, IC analogiques et IC de mémoire (chacun mis en oeuvre dans ses noeuds technologiques idéaux) pour atteindre des niveaux de performance et de fonctionnalité du système supérieurs à ce qu’il est possible d’atteindre avec les configurations conventionnelles des PCB (carte de circuits imprimés) ou même des SoC.
Les équipes de conception réalisent que les IC 3D exigent une approche architecturale de niveau système. En effet, ils nécessitent une planification de la mise en oeuvre d’un système sur plusieurs substrats ainsi qu’une solution de conception ad hoc. Celle-ci doit prendre en charge le design, l’analyse et les tests au niveau de chacun des éléments individuels que sont l’IC, l’interposeur, le boîtier et le PCB lors de la phase de conception, mais aussi, de manière plus holistique, au niveau de tous ces éléments pris ensemble. Idéalement, il faut aussi adopter une solution qui tienne compte des contraintes mécaniques, des chaînes d’approvisionnement, et du suivi et de la gestion de l’ensemble de ces données. Par conséquent, il est utile d’étudier l’offre des différents fournisseurs pour déterminer lesquels proposent la solution de développement d’IC 3D holistique la plus complète, englobant, pour l’IC, l’interposeur, le boîtier et le PCB, la conception, l’analyse et les tests, mais aussi les éléments mécaniques, la chaîne d’approvisionnement et les facteurs annexes propres à l’entreprise.
À mesure que les IC 3D se généralisent, l’ensemble du secteur s’efforce d’élaborer une nouvelle norme industrielle pour les « chiplets », ces petits circuits intégrés qui peuvent être facilement insérés dans des interposeurs standard pour concevoir des IC 2,5 D, ou superposés dans des configurations 3D (des LEGO® en silicium, en quelque sorte). En 2022, des organismes de normalisation, tels que l’UCIe, ont été créés pour développer un écosystème qui, espérons-le, concrétisera les capacités plug and play des chiplets. Il est impératif que les sociétés d’EDA participent activement à ces efforts afin de s’assurer que leurs suites d’outils de conception d’IC, ainsi que leurs solutions plus élaborées de conception d’IC 3D, permettent de créer des chiplets conformes aux normes et prêts à l’emploi. Le secteur de la conception doit relever de nombreux défis, mais il faut espérer que les dures leçons qu’il a tirées de la naissance de l’industrie des IP à la fin des années 1990 se traduiront par une mise en place plus rapide de normes formelles. Les chiplets pourront ainsi devenir un nouveau secteur florissant, ce qui conduira à de nouvelles innovations dans le domaine des systèmes, induites par l’intégration des IC 3D.
Il est désormais clair que l’IA et le ML sont devenus une boîte à outils algorithmique importante que les sociétés d’EDA peuvent exploiter pour résoudre les problèmes de leurs clients. Leur champ d’application s’étend de l’innovation véritable, par exemple, pour concevoir des produits qu’il aurait été impossible de créer auparavant, à des usages plus pragmatiques, telles que l’utilisation de l’IA pour contourner les problèmes existants. Comme exemple de ce dernier cas, on peut citer les entreprises qui utilisent l’IA et le ML pour corriger les lacunes de leurs outils lorsque ceux-ci ne sont pas intrinsèquement corrélés aux règles de process d’une fonderie donnée. Nous pouvons nous attendre à ce que cet usage de l’IA et du ML perdure et soit tout simplement intégré dans nos outils. Il sera intéressant de voir si l’IA et le ML pourront commencer à jouer le rôle que les gens ont tendance à leur attribuer, c’est-à-dire devenir non seulement un meilleur moyen d’effectuer des analyses rapides et d’explorer plus vite l’espace de conception, mais aussi un outil réellement capable de créer des conceptions, à l’instar de la conception générative dans le domaine mécanique. Nous n’en sommes qu’au début de l’année, mais ces technologies seront à suivre en 2023.