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Dossiers

L’Industrie Européenne du circuit imprimé en 2015

Par Bernard Bismuth, CCI EUROLAM

Publication: Juin 2010

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Quel est le futur de notre industrie ? Où allons-nous ? Est-ce que notre futur est déjà écrit et pouvons-nous encore le changer ?
 

L’objet de cet article est d’essayer de dessiner le futur de notre industrie et de réfléchir sur ce que les différents acteurs de la « Supply Chain » de nos métiers (fournisseurs, fabricants, assembleurs, donneurs d’ordre, politiques nationales et Européennes) pourraient faire pour que ce futur soit le meilleur possible ou le moins mauvais possible.

Commençons par rappeler des chiffres de nos métiers en Europe.

En 1990 il y avait en Europe 1500 fabricants de circuits imprimés, en 2000 ce nombre est tombé à 1000 puis 500 en 2005 et on peut imaginer un nombre de 250 en 2011 ou 2012.

En dix huit mois le nombre d’usines fabriquant des stratifiés est passé de 7 à 2 et celles fabriquant du cuivre de 4 à 2 ; et les fabricants d’équipements eux sont ceux qui ont peut être le plus souffert avec l’arrêt des investissements, car dans les derniers dix huit mois, il n’y a presque pas eu d’investissements en Europe et aucune ouverture d’usine.

La valeur des circuits imprimés produits en Europe a baissé de 50% en 10 ans alors que durant la même période elle a connu une croissance régulière dans le marché mondial.

La chaîne totale du circuit imprimé (c’est-à-dire tous ceux qui vivent de la présence spécifique de ce métier en Europe comme les fournisseurs, les fabricants, les sociétés de distribution et de services) représente encore(ou seulement) en Europe à ce jour 50000 emplois et 1000 entreprises.

Le marché des circuits imprimés a été de l’ordre de 1750 millions euros en 2009 en Europe (en baisse de 30% par rapport en 2008 qui devait être de l’ordre de 2500 Millions euros) ; l’Allemagne représente environ 660M€ soit 38% du marché et la France 160M€.

Les britanniques, les italiens sont proches des chiffres français (un peu plus bas pour UK ) et les Suisses , les Autrichiens (ATS) et la Scandinavie de l’ordre de environ 100M€ chacun.

Ensuite à un niveau autour de 70M€ Espagne, 50 M€ Benelux, et un groupe entre se situe entre 10 et 50M€ (Pologne, Hongrie, Tchéquie, Slovaquie) et les pays baltes et ex Yougoslavie sont autour de 10M€ comme aussi Bulgarie, Roumanie.

Les chiffres Turquie, Russie, Tunisie, Israël et non Européens sont à part du décompte.

Les mouvements et les chiffres sont fortement influencés par le marché Allemand compte tenu de sa taille. Pour 2010 compte tenu de la charge nettement meilleure mais aussi d’un autre coté de la disparition d’acteurs importants le chiffre devrait être environ 15% meilleur qu’en 2009.

Comment la crise financière a affecté l’industrie des circuits imprimés Européenne ?

Une image a été choisie pour situer le contexte ; cette image est celle du Trou Noir. ( Figure 1 ) Un Trou Noir, selon la théorie de la relativité, est une

Fig. 1 - Illustration d'un trou noir - © nikolai krasnov - Fotolia.com

région de l’espace d’où rien, y compris la lumière, ne peut s’échapper. La zone sphérique qui délimite la région d’où lumière et matière ne peuvent s’échapper, est dénommée « Horizon des événements » appelée parfois « la surface du trou noir » et qui constitue le point de non retour.

Pourquoi parler du Trou Noir en parlant de notre industrie  ? Parce que c’est une métaphore permettant d’illustrer la disparition dans une période relativement courte d’entreprises appartenant à ce maillon de la « Supply Chain » de l’électronique et la disparition des emplois qu’elles avaient créées et que nous ne reverrons pas. En écrivant cet article, je voudrais rendre un hommage sincère à tous ceux fournisseurs, fabricants, collègues qui ont travaillé dans ce métier passionnant mais ingrat et qui se sont battus, qui ont même surmonté les crises comme celle de 2000 et qui n’ont pu survivre à 2009 et à ses dangers ou à d’autres crises antérieures.

Pour comprendre ce qui s’est passé en 2009, penchons nous sur la figure 2, celle qui indique la variation de l’activité entre 2008 et 2010.

Vous constatez l’importance du plongeon et ensuite des courbes en forme de W, qui donnaient chaque fois l’espoir d’une reprise ( il s’agit de figures Européennes). Fig. 2 - Evolution du PCB en Europe. La France a commencé à connaitre la crise plus tard car le plongeon de Septembre 2008 a surtout touché l’automobile peu servie par le marché français mais ensuite à partir de Mars 2009 la France a connu la même chute que les autres et alors que le marché a repris dés Septembre principalement en Allemagne il n’a repris qu’en Février 2010 en France.

Sur les mois à venir , nous allons remonter vers une activité de l’ordre de 15 à 20% inférieure à celle d’avant la crise (après avoir été 30 à 35% plus bas) et comme toute reprise elle intègre des effets techniques de reprise qui pourraient subsister jusqu’en Août 2010 et donner des bons chiffres jusqu’à l’Automne.

En fait il faudrait parler quand on parle du marché Européen de la chute d’activité entre Septembre 2008 et Septembre 2009 plutôt que de 2009 comparé à 2008.

N’oublions pas la disparition en 2009 de nombreux acteurs de taille soit par fermeture, soit par consolidation soit aussi par réduction importante d’effectifs et cela permet à ceux qui ont survécu de commencer à connaitre des moments de charges importantes. La baisse de capacité dans le domaine de la fabrication des circuits imprimés par rapport à 2008 peut être estimée à 15%.

Le choc 2009 a été vraiment important pour notre industrie et un fabricant Européen que j’ai visité en Septembre 2009 m’a dit « Comment peut-on avoir une baisse de 35% dans le circuit imprimé quand l’économie mondiale baisse de 2 ou 3% ? »

Ce qui reste inquiétant c’est l’érosion des prix de vente qui a accompagné cette crise et l’augmentation des prix des matières qui depuis le début de cette année rend la rentabilité difficile même si la charge est bonne car les fabricants n’ont pas augmenté leurs prix en conséquence.

Un autre facteur c’est le comportement de ceux qui achètent des circuits imprimés et qui pensent qu’en pressant leurs fournisseurs classiques sur les prix, ils assurent leur propre survie. En fait pour eux comme pour les autres maillons de la chaîne qui ne connaissent qu’une stratégie basée sur le prix et non sur le coût, le Trou Noir les attirera aussi avec seulement quelques mois ou années de décalage.

La question que nous nous posons tous les jours c’est de savoir comment éviter d’approcher la surface de ce Trou Noir et à vrai dire c’est celle que je me suis posée chaque matin.

Est-ce que c’est une question de temps ou est ce comme les dernières découvertes dues au télescope Hubble que les trous noirs peuvent un jour recréer des galaxies ou pouvons nous créer les conditions pour éviter de frôler cette surface ?

Est-ce qu’il y aura un marché en Europe pour nos produits et quel marché ?

Il y a beaucoup de raisons de croire que le marché Européen des circuits imprimés sera viable et pourra s’appuyer sur une industrie Européenne.

Nous continuerons en 2015 à fabriquer des avions, des trains, des voitures et des moyens de communication et nous serons impliqués dans les solutions pour des énergies nouvelles ou pour réduire les consommations d’énergie ainsi que pour une électronique médicale, une électronique de sécurité et de gestion du vieillissement de la population.

Dans chacun de ces secteurs c’est l’électronique qui fera la différence pour rester compétitifs et innover.

Nous ne serons pas sur les marchés des produits à fort coût de main d’oeuvre, à gros volume, ou avec des produits stables et nous savons que quand un produit atteint ce stade dans son processus de vie, il sera toujours délocalisé à l’endroit le moins cher du moment et ce ne sera pas l’Europe.

Mais il y a beaucoup d’autres cas où nous pouvons être compétitifs surtout si nous avons en face de nous des acheteurs capables de juger sur les coûts et non les prix.

Ce sont par exemple, les produits où il y a une grande variété ou des petits volumes, ceux avec un « Time to Market » court, avec des délais rapides, ou avec des durées de vie réduites.

La bataille n’est pas perdue non plus quand il y a des coûts de transport importants ou des coûts de main d’oeuvre faibles.

Il y aussi tous ces produits dans lesquels on innove ou que l’on modifie constamment, ceux où l’on a des compétences techniques supérieures pour les réaliser, ceux qui requièrent des conditions de sécurité comme pour les moyens de paiement ou les produits à application militaire.

Mais le plus important de tout, c’est de comprendre l’intérêt pour le futur de tous nos métiers d’une « Supply Chain » avec tous ses maillons, performante, d’un haut niveau technique et accompagnée par une production de proximité.

Concevoir un produit électronique sans innover aussi dans l’interconnexion et dans la manière de le fabriquer c’est en faire un produit qui sera copié, et c’est condamner son futur proche pour celui qui l’a inventé.

Dans les premières phases ceux qui pensent doivent travailler avec ceux qui font et ce n’est que lorsque le produit devient un produit à gros volume, courant, stable qu’il faudra le fabriquer à l’endroit le moins cher du moment.

Pourquoi le circuit imprimé est un maillon important de la chaine de valeurs dans la fabrication de l’électronique ?

Le GIXEL l’a clairement exprimé et expliqué dans sa lettre adressée au Ministère de l’industrie en début de cette année 2010 (et cette lettre est sur le site du GIXEL) et dans tous les contacts qu’il a pris avec les différents ministères concernés et donneurs d’ordre ; rajoutons que l’IPC a récemment fait ressortir l’importance majeure de ce composant car demain le circuit imprimé intégrera des composants passifs puis actifs et sera un produit de plus en plus complexe, technique et varié et pas seulement une simple carte.

Et puis on découvre tous les jours dans la compétition mondiale à laquelle nous participons que nous sommes aussi forts que le plus faible maillon de la « Supply chain  » ou de la Filière et quand on pense qu’on pourrait acheter ses circuits imprimés comme on achèterait un produit de commodité, et que l’on envoie ses fournisseurs dans le trou noir, on commence alors à approcher aussi le trou noir.

Quand le circuit est délocalisé, un à deux ans après il en est de même pour le câblage puis pour l’ensemble et enfin pour le produit fini.

L’expérience du téléphone portable est parlante ; on a fini par perdre les centres de recherche et même les marques de téléphones.

Et nous rentrons maintenant dans la démarche politique et l’on nous demande au niveau politique « Que peut-on faire ? »

Le marché Européen de l’électronique est de la taille de celui des USA, de Taiwan ou de la Corée du Sud et à peu près un tiers de celui de la Chine ou du Japon ; les tailles restent comparables mais nous avons 25 pays avec 25 langages et des règles fiscales et sociales différentes. Dans certaines des zones hors de l’Europe les premiers maillons de la chaîne sont soutenus dans le marché interne comme à l’export parce que l’on sait que l’on attirera ensuite toute la chaîne.

Nous vivons encore dans le monde d’hier où la fabrication était la conséquence induite et synonyme de richesses que l’on pouvait taxer dans les pays dits développés. Dans le monde de demain qui est déjà là aujourd’hui, on participe au challenge mondial et on le fait comme si on envoyait nos athlètes au JEUX OLYMPIQUES avec des sacs de 20KG sur le dos pour courir.

Les charges appliquées (sociales, retraites, taxes) et qui devraient être prises par la communauté sont l’apanage des malheureux qui ont décidé de fabriquer en France ou en Europe.

Dans beaucoup d’autres régions du monde, il y a une prise de conscience de la valeur ajoutée apportée par la fabrication et du coût social si la fabrication s’arrêtait ou si elle n’était pas là. L’Europe et la France doivent réagir vite et baisser les charges là où on produit et où l’on crée des richesses et si il le faut pour compenser augmenter les taxes pour tous les produits achetés ce qui concernerait les produits fabriqués en Europe comme ceux fabriqués en dehors. Orgalime (The European Engineering Industries Association) dans sa brochure «  Manufacturing Matters » souligne le rôle clef des industries manufacturières comme moteur de l’économie Européenne et fait toute une série de propositions qui montrent que l’Europe se réveille.

Nous souhaiterions voir cela appliqué et par exemple si des grands programmes sont lancés, il faut que cela n’implique pas seulement les donneurs d’ordre mais aussi tout le reste de la Supply Chain. Si cela n’est pas établi, nous aurons de beaux programmes industriels qui seront de belles coquilles vides d’emplois.

Le FABLESS en Europe = JOBLESS en Europe et peut faire de notre continent une zone de fort chômage.

Quelles sont les mesures pratiques que nous proposons ?

Donneurs d’ordre

- Considérer qu’ils gèrent une complète chaine de valeurs et supporter et associer tous les maillons à leurs projets
- Impliquer les sous traitants dans la R et D de leurs programmes
- Disposer d’acheteurs formés pour acheter au meilleur coût et non au meilleur prix Fabricants de circuits imprimés et leurs fournisseurs de produits et équipements.
- Jouer sur la flexibilité complète pour fournir ce qui est demandé très vite et juste ce qui est demandé
- Réaliser des consolidations et fusions avec d’autres fabricants Européens en incluant les pays Méditerranéens et les pays de l’ex Union Soviétique.
- Fournir un support technique d’un haut niveau à tous les échelons de la « Supply Chain »
- Apprendre à acheter et à vendre au meilleur coût et non au meilleur prix.

Gouvernement Français

- Introduire la « Flexisécurité » proposée par le SNESE ; nous sommes parmi les pays les plus rigides du monde dans ce domaine et les pays Européens qui avaient de tels dispositifs ont beaucoup mieux traversé la crise de 2009
- Redresser les seuils sociaux : ils sont trop bas pour les contraintes qui incombent aux entreprises et il faut qu’ils passent très vite de 10 à 15, de 20 à 30 et de 50 à 75 sans aucune contrepartie.

- Développer la relation PME Grands Groupes pour le bien de tous les partenaires Communauté Européenne
- Supporter R et D et innovation qui est la clef de la compétitivité dans les procédés et pas seulement dans la conception (Et bravo au SNESE pour ce qu’ils sont en train de faire pour le Crédit Impôt Recherche en France  !)
- Supporter participations dans les conférences techniques pour les sociétés produisant en Europe
- Nommer un responsable Circuits Imprimés à Bruxelles pour défendre les intérêts des 50000 emplois et des 1000 PME
- S’assurer que les grands programmes lancés et soutenus par la Communauté Européenne intègrent bien des fabrications en Europe.

En conclusion si l’on devait prophétiser ce que serait notre industrie en 2015 :

- Le pire scénario serait la disparition de cette industrie et ce n’est pas le fait que d’autres pays qui en ont surement besoin récupèrent les fabrications qui pose problème, c’est le fait que si nous arrêtons de participer à cette compétition mondiale, nous déclinerons inexorablement dans toute la filière.
- On peut imaginer avec réalisme que notre industrie restera, qu’elle sera composée d’un nombre limité d’acteurs forts, Européens, de haute technologie et en même temps très flexibles, capables d’apporter à leurs clients des gains de coût importants , un support technique de proximité et capables d’innover dans leurs secteurs.

Ces acteurs couvriront tous les marchés en Europe, auront des usines ou des services dans plusieurs pays et sauront collaborer avec les universités et les centres de recherche. Et enfin ils seront solides financièrement et profitables.

Mais notre futur sera très dépendant d’arriver à ce que nos messages passent finalement auprès des décideurs, modifient les comportements (y compris les nôtres) et nous permettent de participer à ce merveilleux challenge des années à venir où l’on continuera à fabriquer en Europe et où l’on réinventera tout chaque matin.

Bernard Bismuth MAi 2010

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