En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies pour vous proposer des contenus et services adaptés à vos centres d'intérêts. En savoir plus et gérer ces paramètres. OK X
 
 

 

 

Dossiers

La fabrication des circuits imprimés en France

Publication: Février 2015

Partagez sur
 
Que deviendra cette profession à l’horizon 2020 ? Bernard BISMUTH répond à Alain MILARD
 

Un peu d’histoire :

En 1903 à Londres, Albert Hanson, berlinois d’origine, déposa un fil conducteur collé sur un papier. Il s’agissait déjà d’un assemblage de conducteurs électriques sur un matériau isolant ! En y ajoutant des trous dans l’isolant pour permettre une connexion électrique entre les fils des deux faces, le premier CI double-face à liaisons électriques voyait le jour. 85 ans plus tard, en 1988, 200 usines en France produisaient des circuits imprimés pour un chiffre d’affaires de 400M€ et employaient plus de 6000 personnes directement et 15000 personnes en comptant les emplois générés. En 2014 seulement 22 entreprises produisent en France des PCB pour un chiffre d’affaires total de 150M€. Elles sont implantées sur 30 sites et emploient, si l’on prend en compte des emplois indirects ou partiels générés par cette industrie, actuellement 4500 personnes en France.

Alain MILARD :

Que sont devenues ces 170 entreprises qui ont disparues  ? Ont-elles fusionné ? Ont-elles intégré des EMS ? Ontelles été délocalisées dans des pays où la main d’oeuvre est moins chère ?

Bernard BISMUTH répond :

Une partie de ces entreprises étaient les ateliers de fabrication des grands groupes électroniques de l’époque (THOMSON /ALCATEL CIT/AEROSPATIALE/ PHILIPS/SAT SAGEM/ BULL…) et leurs activités ont été délocalisées ou vendues. Certaines existent encore comme par exemple Alcatel Coutances devenue Elvia Coutances et Thomson Cholet devenue CIREA . Les autres se sont arrêtées et cela s’est passé dans d’autres pays Européens et aux USA à cause de la délocalisation industrielle. Elles n’ont pas intégré des EMS mais cela pourrait arriver comme cela a commencé à se produire dans d’autres pays. Ce qui est spécifique au marché Français et qui l’a pénalisé en addition c’est l’effet du seuil social à 50 personnes. Dans les 25 dernières années de nombreuses entreprises du circuit imprimé ont fait partie du Club des 49 et n’ont pas voulu dépasser le seuil de 50 salariés. Elles ont manqué des opportunités de croissance qui ne se sont pas représentées par la suite. S’il n’y avait pas eu cet effet de seuil, nous aurions eu une industrie un peu plus importante en valeur globale mais surtout constituée comme dans d’autres pays Européens d’entreprises de plus grande taille.

Alain MILARD :

Aujourd’hui, une bonne douzaine d’entreprises sur vingt deux ont moins de 50 salariés. Sont-elles donc vouées à disparaitre ? Multiplier leur personnel par deux, ou voir trois pour certaines, me paraît irréalisable et pourtant, certaines d’entre elles me semblent très viables… Êtes-vous d’accord avec moi Bernard ?

Bernard BISMUTH répond :

Il faut tenir compte des effets de niche et de la réponse à des besoins divers qui ne nécessitent pas des entreprises de grande taille. Il y a parmi ces niches les flex, le SMI, les circuits complexes, une notion de services parfaite et fiable, une spécialisation dans des délais courts, une réponse régionale, et puis il y a des consolidations et regroupements à venir.

Ce qui est important à comprendre, c’est que le sort de cette industrie n’est pas fixé et que le comportement de tous les acteurs peut modifier le futur.

Il m’a été demandé comment je verrai idéalement cette industrie en 2020 et en même temps que cette vision soit réaliste et favorise une stratégie. J’ai parlé d’une vision à un chiffre d’affaires global de 220M€ car elle est possible et nécessaire pour toute la filière.

Il y a actuellement en 2014 une vingtaine d’entreprises avec une trentaine de sites et pour 2020, j’imagine une dizaine d’entreprises avec une quinzaine de sites répartis comme suit : 4 ou 5 entreprises de plus de 10M€ réalisant un chiffre total de 190M€ et 5 ou 6 entreprises en dessous de 10M€ réalisant un chiffre total de 30M€.

Dans ces entreprises un personnel de l’ordre d’une centaine de personnes sur de nombreux sites avec un certain nombre d’ingénieurs et techniciens, des multilingues, des équipements permettant de répondre à diverses technologies, une partie Européenne dans les ventes entre 30 et 70%, une présence Européenne physique avec un ou plusieurs sites complémentaires ou dans les mêmes marchés.

Ces entreprises seraient dans plusieurs programmes de recherche et accompagneraient toutes les fabrications, soit complétement pour des produits qui évoluent constamment ou pour des produits stratégiques et soit seulement dans les périodes précédant l’industrialisation pour les produits de grande consommation.

Ces entreprises devront avoir une bonne santé financière et surtout dès maintenant, une stratégie soutenue par des investisseurs, confirmée par leurs résultats. Ces entreprises auraient des partenaires Méditerranéens, Pays de l’Est, Asiatiques pour traiter les volumes importants et seraient capables d’assurer la pré-industrialisation chez eux et ensuite l’industrialisation qui prolongerait leur activité. C’est ce futur auquel il faut penser et qu’il faut construire.

Alain MILARD :

Quelques chiffres arrêtés au 31 décembre 2013 : Le marché mondial est de l’ordre de 45 000M€ et l’Europe représente 4.5% de cette production soit environ 2 000M€. Bien que la demande mondiale augmente, l’Europe se voit confier moins de production, essentiellement due au coût de la main d’oeuvre.

Bernard BISMUTH répond :

Si l’on regarde les chiffres, ils se stabilisent depuis quelque temps en Europe et s’ils ne croissent pas comme dans les marchés asiatiques, ils ne décroissent plus depuis quelques années surtout dans les pays forts comme Allemagne, Autriche, Suisse et les pays de l’Est. La réponse au coût de la main d’oeuvre c’est de travailler sur le coût d’achat total et de former ceux qui vendent pour le faire ressortir et ceux qui achètent pour oublier leurs tableaux Excel comme seul outil d’achat. Si l’on sous traite des produits figés en gros volume à des pays à coût main d’oeuvre plus bas c’est logique et si on le fait dans la période de pré-industrialisation sans tenir compte de tous les coûts annexes, on finit par acheter plus cher ; un acheteur auquel je faisais ressortir cela m’a répondu « j’en suis conscient et je suis d’accord mais je ne suis mesuré que sur mon prix d’achat et pas en tenant compte des autres coûts »

La réponse c’est aussi l’innovation permanente et le circuit imprimé s’y prête bien.

Alain MILARD :

L’Europe aurait perdu ces 15 dernières années 50% de sa production au profit des pays « Low-Cost ». L’Allemagne, la Suisse et l’Autriche ont vu leurs chiffres d’affaires augmenter, alors que la France a vu son chiffre d’affaires diminuer. Les fabricants de PCB Allemand, Suisse et Autrichien, sont-ils plus performants techniquement ?, ou bien existe-il au sein de ces 3 pays un protectionnisme qui n’existerait pas en France ?

Bernard Bismuth répond :

Tout d’abord, les pays que vous citez ont perdu aussi de gros volumes et ne se sont stabilisés que depuis quelques années alors que nous avons continué à décroitre. Je ne crois pas qu’il y ait de protectionnisme dans le circuit imprimé sauf peut-être pour des produits militaires, peut-être en Allemagne un peu plus de bon sens de l’acheteur qui ne va pas changer pour un fournisseur lointain s’il n’y a pas un vrai écart de prix. Cela dit, un certain nombre d’usines de circuits imprimés dans ces pays sont plus importantes, mieux équipées, avec un personnel plus technique et elles ont déjà pris le train du futur. C’est cela la réponse et les entreprises d’autres pays Européens y compris la France qui ont pris ce train du futur voient leur activité croitre.

Alain MILARD :

L’Asie, avec ses productions de PCB à bas prix, est aujourd’hui très performante sur le plan technique et les délais de fabrication sont courts. Depuis 15 ans elle a monopolisé la plus grande part de la fabrication mondiale de PCB. Mais, ne croyez vous pas Bernard qu’au sein de l’Europe, les fabricants des pays de l’Est soient en mesure d’affecter la production Française de circuits imprimés ? Un grand nombre d’entre elles bénéficie des appuis financiers de Bruxelles à l’investissement et leur main d’oeuvre est trois fois moins coûteuse qu’en France.

Bernard Bismuth répond :

Pour avoir vécu dans cette industrie depuis presque un demi-siècle, je trouve que l’on ne pouvait rien faire contre la délocalisation industrielle de gros produits de consommation mais que l’on pouvait faire nettement mieux pour toutes les autres demandes et quand je dis « on » je pense à beaucoup d’acteurs de ces métiers y compris les grands groupes industriels de tout type. Par exemple en Allemagne, le secteur automobile a toujours 15 à 20% de ses fabrications de circuits imprimés faits sur place et ce sont des produits spéciaux, nouveaux en petite quantité et en France cela ne se fait plus depuis 15 ans au moins et on ne fabrique pratiquement rien pour l’automobile. Les pays de l’Est comme l’Asie sont la réponse pour le moment où il faut délocaliser un produit parce qu’il va être stable et produit en volume, et j’ai répondu que les fabricants doivent chercher ce type de partenaires qui sont complémentaires à leur activité.

Mais la vraie valeur ajoutée c’est d’être capable en tant que fabricant de circuits imprimés français ou Européen, d’apporter quelque chose à son client au début de sa réflexion , de l’accompagner le plus loin possible par sa réactivité dans la période de pré-industrialisation, de passer ensuite le relais quand il le faut économiquement aux pays low-cost du moment et de participer à la vague suivante d’innovations et de réflexions.

Alain MILARD :

Nos entreprises Françaises sont performantes sur le plan technique et ouvertes à la recherche de nouvelles formes de fabrications en relation avec leurs clients. Quelles sont pour vous en quelques mots les recommandations que vous leur préconisez ?, par exemple :
- Ne pas se focaliser que sur la fabrication des prototypes et petites séries, mais être en mesure d’assurer la fabrication de séries plus importantes ?
- Obtenir du gouvernement une fiscalité plus légère pour les entreprises dépassant plus de 50 salariés ?
- Obtenir de Bruxelles des subventions qui permettraient à nos entreprises d’investir plus rapidement comme cela se pratique dans les pays de l’Est de l’Europe ?

Bernard Bismuth répond :

J’ai fait une liste de recommandations dans l’étude que l’on peut essayer de résumer :

- 1/ sur le plan social et fiscal ces mesures sont indispensables  :
- doubler les seuils.
- permettre la flexibilité de l’emploi.
- ne pas taxer les bénéfices remis dans les fonds propres.

- 2/Sur le plan technique :
- avoir des universités qui s’intéressent à l’interconnexion en général ou au packaging.
- favoriser des programmes de recherche avec des fabricants de circuits sur des nouvelles technologies.
- appuyer l’embauche de techniciens pour la production et pour l’aide aux clients comme on appuie pour la recherche.

- 3/Financement :
- favoriser consolidation et construction de l’ensemble Européen.
- financer l’innovation qui va dynamiser cette profession.

- 4/Sur le plan des fabricants de circuits imprimés, ils doivent investir pour répondre vite et bien et avoir du personnel compétent pour vendre non seulement leur produit mais aussi des solutions à leurs clients.

Une dernière question Bernard :

Avez-vous une idée de la constitution et la dimension des circuits imprimés dans 5 voir 10 ans à venir ? Et en France, combien d’entreprises seront-elles capables de fabriquer de tels circuits ?

Bernard Bismuth répond :

Le circuit imprimé est depuis toujours une superposition de technologies qui s’ajoutent et pas seulement de produits plus sophistiqués rendant obsolète les technologies antérieures . C’est le composant qui récupère une partie de la miniaturisation et l’on trouve toujours des gros volumes de simple face comme il y a 50 ans qui cohabitent avec des circuits de 40 couches avec des vias et des composants enterrés. Vous me parlez de taille de circuits imprimés ; ils seront plus petits mais on les fabriquera en plus grand format.

Ce qui va bouger à mon avis c’est l’impact de l’arrivée simultanée du numérique qui se déplace à une vitesse exponentielle, du 3D, de l’Electronique Imprimée, des composants enterrés et de nouvelles applications.

Si il y a de bons techniciens, des moyens d’investissement qui n’ont pas besoin d’être tournés vers la production de volume mais vers la technologie je pense que les principaux fabricants français pourront suivre.

Il y a des usines en Chine qui ont 50 équipements similaires pour faire des circuits complexes qui coûtent par exemple 500.000€ La société qui dispose en Europe d’un seul équipement de ce type répond aussi à la demande. Les sauts technologiques paraissent au départ très hauts mais au bout d’un moment comme sur les imprimantes 3D, ils baissent.

Non ce ne sont pas ces sujets qui sont menaçants, mais c’est le fait d’être de petite taille, sans moyens et sans stratégie relative à son marché.

Alors si on ne peut pas investir, on ne peut pas être rentables et c’est bien là le cercle vicieux.

Je suis optimiste pour ceux, gros ou petits qui bâtissent pour le futur et qui l’affrontent et pessimiste pour ceux dont la stratégie consiste à attendre que le concurrent s’arrête avant eux.

Merci Bernard pour cet entretien réalisé en janvier 2015.

Suivez Electronique Mag sur le Web

 

Newsletter

Inscrivez-vous a la newsletter d'Electronique Mag pour recevoir, régulièrement, des nouvelles du site par courrier électronique.

Email: